Janvier 1914 : Visite et cartes de Nouvel An !
On a en ce moment une très fâcheuse propension à s'affranchir de la sujétion des visites et des cartes de nouvel an. Les cartes prennent, aux yeux de
beaucoup de personnes, un temps qu'elles jugent pouvoir être mieux employé à d'autres besognes.
Et puis, elles nécessitent une mise à jour annuelle passablement laborieuse, si l'on se pique qu'elles touchent sans omission le cercle des connaissances. Enfin, elles risquent de se heurter au silence réservé d'amis adversaires du bristol : petit affront douloureux pour qui tient état exact de ses envois.
Quant aux visites, c'est bien une autre histoire. Nul ou presque, qui ne les déclare assommantes, excédantes, ne pouvant faire plaisir à qui les accomplit ni à qui les reçoit.
Voyons, voyons... Je sais parfaitement que des souhaits écrits ou parlés entre personnes ne cultivant pas de relations, autant en emnorte le vent. Mais c'est que, justement, il dépend de chacun de les doter d'un sens en les revêtant d'une manière. Ce qu'il faut considérer, c'est que le carte et la visite de la nouvelle année sont les moyens les plus civils et les moins encombrants que l'on ait trouvés d'entretenir des amitiés lointaines dont aucune raison ne vous fait désirer de resserrer les liens.
La famille est étroite, le monde des familiers difficile à recruter intelligemment. Ils forment à eux deux une sorte d'armée active que, dans maintes occasions, on éprouve un soulagement à voir doubler d'une nombreuse armée territoriale, - vous savez, cette armée qui vous bombarde de félicitations quand vous êtes décoré, qui vient vous serrer la main à la sacristie le jour de vos noces, et qui suit votre corbillard en parlant trop haut lorsque vos héritiers vous conduisent à la concession perpétuelle.
Eh bien, à moins que d'être un misanthrope au cœur noué de rubans verts, il faut cultiver cette armée-là. La carte coûte peu. Usez-en largement. La visite ennuie davantage. « Cordialisez »-la, si je peux employer ce néologisme. Faites-là sans façon, gentille, exempte de pose et surtout de rancune, si tant est que vous cultiviez cette ciguë dans votre jardin. Une visite bien faite est une sympathie conquise. Et ne dites pas que vous vous moquez des sympathies.
Elles constituent un chaud vêtement à l'âme pour les heures à venir où l'on souffre et où l'on a froid.
Source : Revue Illustrée du Calvados 1911/1914 SAGERS 1910 Paris la nuit